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Dix ans de la tuerie à Charlie Hebdo: "Ils n'ont pas tué Charlie Hebdo" et "on veut qu'il dure mille ans", affirme une de ses figures, Gérard Biard, le rédacteur en chef de l'hebdomadaire

Par Anne Pascale REBOUL avec Aurélie CARABIN

"Ils n'ont pas tué Charlie Hebdo" et "on veut qu'il dure mille ans", affirme à l'AFP une de ses figures, Gérard Biard. Dans la rédaction décimée le 7 janvier 2015, l'esprit des disparus est toujours très présent et la relève est là. Le rédacteur en chef réfute ce qu'avaient lancé les frères Kouachi - "On a tué Charlie Hebdo!" - en sortant des locaux de l'hebdomadaire satirique, alors tiré 60.000 exemplaires et totalisant moins de 30.000 ventes par semaine (dont environ un tiers sur abonnement), qui avait publié des caricatures du prophète Mahomet.

Huit membres de la rédaction ont été abattus lors de l'attentat islamiste, sur 12 victimes au total. "Ils ne les ont pas tués non plus" parce que leur oeuvre "n'a pas pris une ride", dit Gérard Biard, alors que les livres hommages se multiplient à l'heure des commémorations. Leur humour, leur mordant, restent vivaces à Charlie Hebdo, dont les locaux ultra protégés sont tenus secrets.

"Depuis dix ans, j'essaie d'être un intermédiaire entre eux et les jeunes. On ne peut pas comprendre ce qu'on fait si on n'a plus ces disparus à l'esprit", confiait le directeur de la publication, Riss, au journal Le Monde en novembre. Celui qui a succédé à Charb en 2015 observe que Charlie Hebdo, "qui s'est construit dans la marginalité, apparaît désormais comme une institution". Les dessinateurs sont une douzaine, dont la moitié ont été recrutés après l'attentat, comme Biche, Félix, Udine. "

C'est un journal que l'on ne rejoint pas par hasard. Il faut être motivé chaque semaine", peut-être plus qu'ailleurs, estime Pierrick Juin, dessinateur de 37 ans. "J'aurais aimé être aux côtés de Cabu, Wolinski et les autres. Il faut être à la hauteur. A chaque dessin, je vais au bout de moi-même", assure-t-il à l'AFP. Arrivé en avril 2015, le trentenaire garde parfois "un sentiment d'imposture".

Juin décrit cependant "une ambiance normale" de rédaction, entre rigolades, débats, jusqu'à des engueulades entre sa trentaine de membres, mais derrière "des portes blindées". "On n'est pas que des soixante-huitards en peau de chèvre", sourit Antonio Fischetti, rédacteur de la vieille garde. Les jeunes "n'ont aucune frilosité" et "le plaisir du dessin est plus fort que la peur", considère Riss.

Dans le numéro spécial qui sort le 7 janvier, l'hebdomadaire va publier des caricatures sur Dieu sélectionnées lors d'un concours international, pour dénoncer "l'emprise de toutes les religions" sur la société. "Quand on a beaucoup de réactions, je me dis qu'il faut continuer", appuie Juin.

Cela a été le cas en août, après la publication d'une caricature de la Vierge Marie touchée par la variole du singe, dont il était l'auteur et qui a valu des plaintes à Charlie Hebdo. Riss dit à ces recrues: "Un jour, vous serez seuls à défendre le journal, faut vous préparer".

Se préparer à défendre "l'esprit Charlie" - rien n'est sacré, tout peut être critiqué - et à gérer la publication. Juin détient par exemple deux actions du journal, afin d'y être "sensibilisé". Loin des records de 2015 (le numéro suivant l'attentat a été diffusé à huit millions d'exemplaires et les abonnements culminaient à 240.000 en février), l'hebdomadaire compte aujourd'hui 30.000 abonnés et s'écoule à environ 20.000 exemplaires en kiosques.

Comme partout dans la presse, "c'est de plus en plus compliqué", reconnaît son rédacteur en chef, qui a développé son site et sa présence sur les réseaux sociaux. Pour mieux faire connaître la caricature, et défendre la liberté d'expression, l'équipe intervient auprès des lycéens et collégiens.

Dix ans après, l'attaque "est une page d'histoire" et il y a un enjeu de "transmission", expose Riss. "Il y a aussi la transmission du goût, de l'envie d'être libre. Nous, c'est en faisant ce journal, et c'est la quête d'une vie: tendre vers la liberté", déclarait-il en décembre devant les spectateurs du documentaire "Je ne veux plus y aller maman" d'Antonio Fischetti. Riss vit toujours sous protection policière. Certains dans la rédaction, toujours animés par l'humour noir, évoquent "dix ans de sursis" pour les membres de Charlie Hebdo.

Le passé remonte souvent et un décès en octobre "a donné la sensation assez insupportable que l'histoire se prolongeait", selon les mots de Riss. Responsable du site internet au moment de l'attentat et grièvement blessé, Simon Fieschi, qui se disait un "survivant", est mort à 40 ans. Ce décès "nous oblige", lâche Riss. Il faut "trouver la force de continuer sans lui, sans les autres".

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Portrait de cmeta
5/janvier/2025 - 16h58

la liberté de Charlie n'empeche que c'est un journal vulgaire qui se cache derrière la liberté de la presse