01/04/2024 15:01

"Le Crayon", média de débat en ligne pour les 18-34 ans, comptabilise plus de 40 millions de vues par mois et assume la controverse: "Notre limite, c'est le cadre de la loi"

Par Maxence D'AVERSA

"Notre limite, c'est le cadre de la loi": le Crayon, média de débat en ligne pour les 18-34 ans, comptabilise plus de 40 millions de vues par mois, et assume la controverse. Sa marque de fabrique: des vidéos tournées autour de sujets souvent abrasifs, de questions volontairement très clivantes : "toutes les cultures se valent-elles ?", "Faut-il protéger l'avortement ?", "Les hommes sont-ils oppressés par le féminisme ?"

Des débats illustrés par des personnalités radicalement opposées, issues de la société civile - un prêtre face à une réalisatrice de films pornographiques - ou de la sphère politique, la militante controversée franco-palestinienne Rima Hassan - candidate LFI aux européennes, les députés insoumis Louis Boyard et Antoine Léaument jusqu'à des figures d'extrême droite, comme l'ex-policier Bruno Attal, Florian Philippot, Eric Zemmour, ou les anciens porte-parole de Génération Identitaire Thaïs d'Escufon et Jérémie Piano.

De quoi valoir à ses créateurs, quatre étudiants qui ont lancé le média en 2020, des accusations récurrentes de proximité avec l'extrême droite, qu'ils contestent fermement. "On s'est toujours revendiqués apartisans", explique à l'AFP Antonin Marin, l'un des fondateurs. "Nous nous voyons comme un pont entre les différentes bulles idéologiques." Mais le Crayon fait polémique. "Laurent Ruquier non plus n'était pas d'extrême droite quand il invitait Eric Zemmour sur un plateau. La question, c'est de savoir quelles passions on attise", souligne le vidéaste politique de gauche Usul, qui a toujours refusé les invitations du média.

"Leur neutralité est en fait une stratégie commerciale, celle d'opposer les points de vue plus extrêmes comme si l'un valait l'autre, et voir ensuite le résultat en termes d'audience, sans jamais se soucier de l'effet que ça peut avoir," juge-t-il. 

Si YouTube a vu ces dernières années le succès de chaînes comme Thinkerview qui se distinguent par des interviews longues et sans contradiction, le Crayon a choisi une autre approche : celle de remettre au goût du jour la culture du clash de la télévision des années 90-2000, n'hésitant pas à citer Frédéric Taddeï ou le talk-show "On n'est pas couché" comme inspirations. Jules Stimpfling, autre cofondateur, passé par Sciences-Po, le reconnaissait en 2023 : "il y a une prime à la radicalité dans les algorithmes". Autrement dit, les commentaires les plus extrêmes sont mis en avant par les plateformes comme YouTube et TikTok.

Les vidéos qui génèrent davantage de réactions deviennent alors recommandées aux utilisateurs, leur promettant une grande audience. Une stratégie dont nie profiter Le Crayon. "Si on cherchait le buzz, on aurait fait des sujets beaucoup plus hard", commente Antonin Marin. Même ses détracteurs le reconnaissent, "Le Crayon a du nez", admet Usul, une capacité à dénicher des personnalités qui font parler sur Internet, mais encore sous-représentés dans les médias traditionnels, "y compris à l'extrême droite."

C'est le cas de personnalités aux accents complotistes, comme les avocats Fabrice Di Vizio ou Juan Branco, ou bien la militante Marguerite Stern, souvent accusée de transphobie. C'est aussi le cas de Rima Hassan. En janvier, deux mois avant son intégration dans la liste LFI, Le Crayon retire quinze minutes après publication un court extrait de son interview après un "signalement pour apologie du terrorisme", raconte Antonin Marin.

"Le Hamas mène une action légitime ? "Vrai", répond Rima Hassan dans une séquence où l'invité est censé ne répondre que "vrai" ou "faux". Elle regrette depuis "une censure" de ses "réponses étayées", rappelant avoir "qualifié très tôt d'attaque terroriste" l'opération sanglante menée par le mouvement islamiste palestinien le 7 octobre en Israël.

Ses créateurs ne se revendiquent pas journalistes mais entrepreneurs. Preuve en est la levée de fonds d'un million d'euros achevée l'an dernier auprès d'investisseurs comme le milliardaire Xavier Niel dans le groupe qui a lancé, fort de son succès, une agence de relations presse et de marketing.

Dans leurs rêves les plus fous, de quelle interview rêve Le Crayon ? Un débat "Trump-Poutine", propose Sixtine Moullé-Berteaux, également cofondatrice, dans une vidéo publiée en décembre, "sans langue de bois, ça peut juste être lunaire." "Le débat présidentiel", lance de son côté Antonin Marin. "Je sais qu'on le verra un jour" sur notre chaîne, "la question, c'est juste quand."

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