Christophe Gleizes Par Anne-Sophie LASSERRE
Une enquête "longue", des témoignages "recoupés". Attaqué en diffamation par l'ancien président de l'Unef pour un article en février 2018 sur des violences sexistes et sexuelles au sein du syndicat, Libération a défendu mardi au tribunal à Paris la "rigueur" de son travail journalistique.
Le 19 février 2018, puis le lendemain dans sa version papier, le quotidien publiait les témoignages de seize femmes dénonçant des violences sexuelles et plus généralement les "dérives" de l'Unef, notamment sous la présidence de Jean-Baptiste Prévost entre 2007 et 2011. Cet ancien étudiant de Sciences Po passé par la suite dans des cabinets ministériels avait attaqué le journal pour sept passages de cet article qu'il jugeait diffamatoires à son encontre. Sa plainte en diffamation avait d'abord été déclarée nulle par la justice, avant d'être validée en appel en octobre 2021.
Plus de cinq ans après la parution de l'article dans les colonnes de Libération, la 17e chambre du tribunal correctionnel, spécialisée dans les affaires de presse, n'avait pas encore commencé à aborder le fond que partie civile et prévenus décochaient leurs premières flèches. Quand Libération commence son enquête sur le deuxième syndicat étudiant de France, à l'automne 2017, le mouvement #MeToo commence juste à produire sa déflagration, dans le sillage de l'affaire Weinstein.
A Libération comme dans d'autres médias, le sujet des violences sexistes et sexuelles devient "une priorité éditoriale", retrace à la barre du tribunal Ismaël Halissat, l'un des deux auteurs de l'article sur l'Unef. Sans faire de ce travail journalistique une "visée politique" ou "militante", précise-t-il. "C'est une enquête qui nous a occupés pendant près de trois mois", abonde sa collègue de Libération, Laure Bretton.
"Nous avons rapporté des faits et publié que ce que l'on a pu recouper", assure-t-elle. L'article était paru trois mois après une enquête du Monde, accompagnée le 28 novembre 2017 d'une tribune de 83 anciennes militantes ou cadres de l'Unef, sur un "système de violences sexistes" au sein du syndicat étudiant.
Dans les pages de Libération, deux femmes relataient avoir été violées, en 2014 et en 2016, par un membre de la direction, désigné dans l'article par son prénom: "Grégoire T". Quatre militantes témoignaient d'agressions sexuelles de la part d'un autre membre du syndicat, appelé "A", en 2007, 2008 et 2013, ainsi qu'un viol en 2015. Concernant Jean-Baptiste Prévost, les journalistes insistent sur ce que l'article "qualifie avec prudence de harcèlement".
Dans la salle, l'ancien président de l'Unef soupire ostensiblement ou commente leurs déclarations, se faisant rappeler plusieurs fois à l'ordre par la présidente du tribunal. Pour la partie civile, le journal, en écrivant que "ce que la plupart des femmes interrogées par Libération racontent semble pouvoir relever à tout le moins de harcèlement sexuel de la part de Jean-Baptiste Prévost", lui "impute aussi des faits d'agression sexuelle ou de viol".
Les débats s'attardent longuement sur ces mots "+à tout le moins+", et s'écartent souvent aussi des propos poursuivis, conduisant le tribunal à réclamer "un petit peu de discipline" aux parties. "Est-ce que vous avez accusé M. Prévost de viol" ou "d'agression sexuelle ?", veut "rapidement" évacuer l'avocat de Libération et des deux journalistes, Me Charles-Emmanuel Soussen.
"Non", martèle Laure Bretton. L'article le mettait en cause pour avoir "pioché des numéros de téléphone dans les fichiers du syndicat pour multiplier les relations sexuelles" et avoir "profité" de son statut de président. Ce qui est décrit, expliquent les journalistes, c'est "un système de prédation" et la façon dont Jean-Baptiste Prévost "utilisait le syndicat à des fins personnelles".
L'ancien président de l'Unef, aujourd'hui âgé de 39 ans, doit être auditionné jeudi. Il a fait citer comme témoins de moralité l'ancienne ministre de l'Education Najat Vallaud-Belkacem, dont il a été le conseiller, et Bruno Julliard, auquel il avait succédé à la tête du syndicat. Le procès est prévu jusqu'à vendredi.
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