A partir de lundi, les utilisateurs d'iPhone auront le choix, pour chaque application mobile, entre accepter ou refuser d'être suivis à la trace, grâce à une mise à jour d'Apple potentiellement lourde de conséquences pour l'écosystème publicitaire sur lequel règnent Facebook et Google. Deux modèles s'affrontent dans la Silicon Valley: le géant de l'électronique vend ses smartphones, tablettes et ordinateurs au prix fort, tandis que ses deux voisins proposent des services gratuits, implicitement en échange des données des internautes, qui servent à leur adresser des pubs ultra ciblées, à très grande échelle.
Ce modèle économique dominant est critiqué depuis longtemps par la société civile (associations, universitaires, etc), et périodiquement remis en cause par des lois (en Europe et en Californie) ou des entreprises moins connues. Mais la marque à la pomme, avec son milliard d'iPhone actifs dans le monde, a la capacité de bouleverser les habitudes.
Depuis septembre, les éditeurs d'applis sous iOS, le système d'exploitation mobile d'Apple, peuvent demander à leurs utilisateurs la permission de les suivre dans leur navigation entre divers sites et applications pour récolter et utiliser leurs données. Avec le déploiement de la version 14.5 d'iOS cette semaine, cette fonctionnalité, dite ATT (App Tracking Transparency), devient une obligation.
Concrètement, une fenêtre de consentement s'affiche à l'ouverture de chaque appli. Si un utilisateur clique sur "non" ou si la fenêtre ne s'affiche pas, quelle que soit la raison, l'application perd l'accès à l'identifiant publicitaire de cette personne, un numéro unique qui permet de le pister en ligne.
"Toute l'économie des applis, et même de la publicité numérique, va être bouleversée par cette politique de confidentialité", constate Eric Seufert, un analyste indépendant, dans un article de blog. "Elle change fondamentalement la façon de mesurer et de cibler la pub sur les mobiles (...) actuellement fondée sur ce qu'Apple appelle le +pistage+".
De nombreuses plateformes et applications craignent que les consommateurs, mis face au choix, ne décident en majorité de dire non. Facebook, notamment, ne décolère pas. Le géant des réseaux sociaux s'est lancé dans une offensive marketing de défense des publicités personnalisées, à coup de pleines pages dans les quotidiens américains, de témoignages de petits commerçants sur un site ad-hoc et de déclarations au vitriol de son fondateur, Mark Zuckerberg.
"Apple se comporte de façon anti-compétitive", a assené le patron fin janvier, lors d'une conférence aux analystes sur les résultats annuels du groupe (29 milliards de dollars de bénéfice net en 2020).
"De nombreuses PME ne pourront plus cibler leurs clients avec des pubs personnalisées. Apple peut dire qu'ils font ça pour aider les gens mais cela sert clairement leurs intérêts", a-t-il continué. Mais même si les utilisateurs refusent le pistage, les annonces seront quand même personnalisées.
Instagram continuera de déduire les goûts en fonction de la navigation sur sa propre application, et à afficher des pubs pour les croquettes aux passionnés de chats.
Les applis se serviront aussi des données de première main, comme l'âge ou la localisation. Mais elles ne pourront plus, potentiellement, les échanger avec des tiers - qu'il s'agisse de faire des recoupements ou de les vendre, de façon plus ou moins anonymisée. "Nous donnons le choix aux utilisateurs", a argumenté Tim Cook, le patron d'Apple, lors d'une interview début avril à un podcast du New York Times.
"Si aujourd'hui vous conceviez un système d'exploitation à partir de zéro, vous le feriez de cette manière, c'est évident." "Du point de vue des consommateurs, Apple a raison. Il faut plus de transparence", commente Carolina Milanesi, analyste de Creative Strategies "Mais c'est un peu hypocrite de la part d'Apple de dire aux consommateurs: +la vie privée est importante, vous n'êtes pas notre produit+.
Evidemment, puisque leur modèle économique n'est pas fondé sur la publicité." Les marques payent plus cher pour des pubs ciblées et finement personnalisées, qui rapportent donc plus d'argent aux sites web et applications que les espaces publicitaires en fonction du contexte (annonces pour des hôtels à côté d'articles sur les voyages, par exemple).
Facebook craint donc un impact sur ses revenus. Début février, Facebook a fait savoir qu'il diffuserait ses propres informations aux utilisateurs à côté de celles du fabricant de l'iPhone, sur la fenêtre de consentement. Les développeurs d'applications gratuites, des jeux vidéo à la bureautique, vont être obligés de s'adapter, s'ils ne veulent pas perdre l'accès au marché particulièrement juteux des utilisateurs d'iPhone ou d'iPad. "Ce sont en général des consommateurs plus aisés que la moyenne, ce qui en fait des cibles plus lucratives", rappelle Carolina Milanesi.
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