Malgré l'effondrement des recettes publicitaires pendant le confinement, la presse allemande compte sortir gagnante de la pandémie du nouveau coronavirus

Par Isabelle LE PAGE

Malgré l'effondrement des recettes publicitaires pendant le confinement, la presse allemande compte sortir gagnante de la pandémie du nouveau coronavirus qui a redoré sa crédibilité et propulsé son développement numérique. "La presse a relativement bien résisté à la crise en Allemagne", premier pays européen en termes de journaux vendus, indique à l'AFP Monique Hofmann, spécialiste des médias du syndicat des services Verdi. "Nous pensons que le besoin d'informations va rester très élevé et la branche devrait sortir renforcée de la crise", souligne-t-elle. L'état des lieux dressé par le secteur au plus fort de la crise en mars, avril et mai donne effectivement des "raisons d'espérer", abonde la fédérations de la presse écrite et numérique (BDZV). Un quart de ses membres font état d'un nombre d'exemplaires vendus stable, la moitié a réussi à limiter le recul entre 1 et 5%, tandis qu'un dixième ont eux accusé de lourdes pertes, a-t-elle récemment détaillé dans un rapport. - Le numérique "crève le plafond" En dépit d'un déclin régulier ces dernières années, l'Allemagne compte encore 327 quotidiens vendus chaque jour à près de 14 millions d'exemplaires, selon les données 2019 de la BDZV. S'ajoutent 17 hebdomadaires et six éditions dominicales. Le pays devance de loin la Grande-Bretagne (plus de 9 millions) ou la France (6 millions). La crise a certes laissé des séquelles: les recettes publicitaires se sont effondrées, parfois jusqu'à 80%, environ un tiers des salariés ont été mis au chômage technique, énumère Anja Pasquay de la fédération. Mais les journaux "ont continué à être imprimés et livrés" tous les jours, dit-elle. Et les abonnements numériques, longtemps à la traîne face au papier, ont "crevé le plafond". "Toutes les maisons d'édition nous disent que des projets de développement en ligne, planifiés pour les mois ou les années à venir, ont pu être réalisés en l'espace de quelques semaines", indique-t-elle à l'AFP. Friedrich Kabler, porte-parole du groupe Axel Springer fait ainsi état "de records d'abonnements numériques en mars et avril", pour son journal phare Bild, le plus lu d'Allemagne, et le quotidien conservateur Die Welt, sans vouloir donner de chiffres. Le grand quotidien de Munich Süddeutsche Zeitung a lui enregistré pour le seul mois de mars 150.000 nouveaux clients pour ses éditions online, un niveau que le journal de centre-gauche prévoyait d'atteindre seulement à la fin 2020. - Dépendance au papier La crise du coronavirus a créé un besoin d'informations crédibles et provoqué "une renaissance des médias classiques", estime l'éditeur du magazine d'informations Stern, Frank Thomsen. Un sondage fin mai de l'institut spécialisé ZMG montre que plus de 90% des 4.000 personnes ont jugé les informations des quotidiens "particulièrement fiables" et les mieux à même de les orienter dans la masse d'informations sur la pandémie. Si le numérique a fait un bond grâce à la crise, un abandon du papier n'est pas pour demain, soulignent les professionnels interrogés, ce qui pose aussi un problème pour l'avenir de la branche. "Il y a encore trop de lecteurs qui veulent tenir leurs journaux dans les mains", indique le président de la Fédération des journalistes allemands, Frank Überall, essentiellement les plus âgés, et ils sont majoritaires en Allemagne. Seulement 22% des plus de 50 ans estiment qu'ils pourraient s'habituer à lire leur journal en ligne, souligne la fédération. C'est tout le dilemme des maisons d'édition, dépendantes pour leurs revenus des abonnements papier, dont elles aimeraient s'affranchir en raison des coûts élevés de distribution, et qui ne peuvent attirer les plus jeunes, et donc de nouveaux clients, qu'avec des produits numériques. "Nous arrivons à un point où nous ne pourrons de toute façon plus livrer des journaux dans certains régions en raison des coûts de distribution", souligne Anja Pasquay, estimant que 40% des communes seront touchées d'ici cinq ans. Pour conserver les abonnés, la solution passera probablement par des offres hybrides, dit-elle, avec des e-journaux dans la semaine et une édition papier le week-end.