11/07/2022 12:31

Convoité puis rejeté par l'homme le plus riche du monde Elon Musk, Twitter fait maintenant face à une bataille juridique que le conseil d'administration a toutes les chances de gagner, mais dont l'entreprise ne sortira pas indemne

Par Julie JAMMOT

Convoité puis rejeté par l'homme le plus riche du monde, Twitter fait maintenant face à une bataille juridique que le conseil d'administration a toutes les chances de gagner, mais dont l'entreprise ne sortira pas indemne. "C'est l'une des affaires économiques les plus folles que j'ai jamais vues.

Depuis le début on dirait un spectacle de cirque, et c'est en train de se finir comme dans un cirque", a réagi l'analyste Dan Ives, de Wedbush, pour l'AFP. Elon Musk a adressé vendredi une lettre à Twitter, annonçant qu'il mettait fin à l'accord passé en avril pour racheter la plateforme au prix de 54,20 dollars par action, soit 44 milliards de dollars en tout. Mais ce genre de contrat est "conçu pour empêcher les acheteurs de paniquer et de décider de se retirer", rappelle Ann Lipton, professeure de droit à la Tulane University.

Le patron de Tesla et SpaceX présente plusieurs arguments: le conseil d'administration (CA) aurait minimisé le nombre de comptes inauthentiques actifs sur la plateforme, et ne lui aurait pas fourni toutes les informations nécessaires pour évaluer correctement le problème des spams. Les avocats d'Elon Musk évoquent aussi des licenciements récents d'employés de Twitter et le gel des recrutements, contraires selon eux à l'obligation pour l'entreprise de continuer à fonctionner normalement. Ce ne sont pas des motifs suffisants, estime la spécialiste en droit des affaires. "Musk est en train de chercher la petite bête dans l'accord. Mais pour les +fausses déclarations+, par exemple, il ne faut pas juste prouver qu'elles sont fausses, mais aussi qu'elles remettent drastiquement en cause les fondamentaux économiques de la société", détaille-t-elle. "Du point de vue légal, il semble clair que Musk a tort", ajoute-t-elle.

Il reste la possibilité que le multimilliardaire cherche en réalité encore à renégocier le prix à la baisse. Cette tactique avait été utilisée avec succès par LVMH: il y a deux ans, le géant mondial du luxe avait rompu les fiançailles avec Tiffany avant d'obtenir un rabais. Mais les experts ne voient pas quel prix pourrait mettre d'accord Elon Musk et Twitter à ce stade, alors que l'action de la plateforme a perdu plus d'un quart de sa valeur depuis fin avril. "Les deux parties ont beaucoup à perdre", souligne Ann Lipton. Si Twitter gagne devant les tribunaux, le fantasque homme d'affaires devra, au minimum, payer quelques milliards de dollars de dommages. Au pire, il pourrait être contraint d'honorer son engagement et de racheter le groupe californien au prix de départ, exorbitant par rapport à la valorisation actuelle, et ce alors que sa fortune a fondu de quelques dizaines de milliards de dollars ces derniers mois. Mais cette victoire pour les actionnaires laisserait l'entreprise et l'emblématique réseau social aux mains d'Elon Musk. Or sa vision n'est pas du tout alignée avec celle de nombreux salariés, utilisateurs et annonceurs, dont dépend le modèle économique de ce service. "Twitter est en moins bon état qu'il y a six mois, mais sur le long terme il vaut quand même mieux qu'il n'appartienne pas à Musk", considère Carolina Milanesi. 

"Ce serait comme de donner un jouet à un enfant capricieux qui n'en veut plus et ne sait pas quoi en faire, et finit par l'oublier dans un coin", continue l'analyste de Creative Strategies. L'oiseau bleu "s'éteindrait lentement et douloureusement". Le procès devrait durer des mois, d'autant qu'Elon Musk va faire traîner les choses, selon Ann Lipton.

L'entrepreneur libertarien, suivi par plus de 100 millions de personnes sur la plateforme, "va chercher à les humilier, et ce sera démoralisant pour les employés", avance-t-elle. Il a déjà harcelé le service à coup de tweets très critiques, de moqueries et de suggestions farfelues, encouragé par ses nombreux fans. Pour Twitter, "cela va être une bataille sur tous les fronts, pour garder leurs ingénieurs, pour ne pas perdre du terrain, pour préserver leur image de marque et faire face aux questions des investisseurs", élabore Dan Ives.

Contrairement à ses voisins de la Silicon Valley, le réseau des gazouillis n'est jamais devenu une machine lucrative, capable de transformer l'attention des usagers en recettes publicitaires astronomiques. "Ces derniers mois, Twitter n'a pas pu se concentrer sur son activité. Ils vont se retrouver avec les mêmes problèmes qu'ils avaient avant Musk", constate Debra Williamson de eMarketer. "La croissance des utilisateurs ralentit. Et les revenus de la pub progressent à la marge, mais le groupe fait maintenant face à un ralentissement de l'économie mondiale qui affecte les budgets publicitaires sur tous les réseaux sociaux".

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