28/09/2019 10:31

Les appels à annuler les abonnements au New York Times se multiplient après la publication d'éléments permettant d'identifier un lanceur d'alerte

Après la publication du rapport accusant Donald Trump d'avoir sollicité "l'ingérence d'un pays étranger dans l'élection de 2020", le quotidien new-yorkais avait donné jeudi des éléments d'identification: il précisait qu'il s'agissait d'un agent de la CIA, un temps posté à la Maison Blanche, expert des dossiers européens et de la situation politique en Ukraine.

Les avocats de ce lanceur d'alerte, comme d'autres personnes travaillant dans les renseignements, ont jugé ces révélations "dangereuses" pour leur client, tant professionnellement que personnellement.

Les appels à annuler les abonnements au puissant journal, sous le mot-dièse #CancelNYT, se sont multipliés sur les réseaux sociaux, où certains demandaient la démission de son directeur de la rédaction, Dean Baquet. Ce dernier s'est défendu. Il a expliqué que Donald Trump et ses partisans avaient attaqué la crédibilité du lanceur d'alerte et que ces précisions devaient permettre aux lecteurs de "juger par eux-mêmes" de sa crédibilité.Mais ces explications n'ont pas convaincu tout le monde.

"C'est une décision difficile. Le New York Times s'est retrouvé pris entre deux principes d'éthique concurrents", estime Jon Marshall, professeur à l'école de journalisme de l'université Northwestern.

D'un côté, "chercher la vérité et la publier", de l'autre, "limiter les torts causés, ce qui implique de ne pas mettre en danger les sources," dit-il. Le tout dans un contexte de concurrence exacerbée par des cycles d'information de plus en plus courts, qui laissent aux médias "peu de temps" pour peser les conséquences de leurs décisions.

Comme d'autres, M. Marshall estime que "seule une ou deux personnes" correspondent vraisemblablement à la description du lanceur d'alerte donnée par le journal. Et que ce dernier l'a donc mis "potentiellement en danger", d'autant que certains partisans de M. Trump "agissent parfois de façon extrême" contre ses adversaires.

Pour lui, le décrire comme un agent expérimenté de la CIA aurait suffi à établir sa crédibilité. Tout en estimant lui aussi que cet homme pourrait être en danger, Todd Gitlin, professeur de journalisme à l'université Columbia, juge la décision du quotidien "justifiée". En tant qu'agent de la CIA, il devait "savoir qu'il y avait des risques et avoir pris ses précautions", dit-il.

De plus, "il travaille pour une organisation dédiée à la sécurité". Si sa hiérarchie manquait de le protéger, même dans le climat politique actuel polarisé, "des têtes tomberaient", assure-t-il.

Contrairement à Edward Snowden, l'employé de l'agence de renseignements NSA qui avait révélé à la presse l'existence d'un système de surveillance mondiale des communications et d'internet ou à Chelsea Manning, soldat qui avait transmis des milliers de documents à WikiLeaks en 2010, cet agent semble très prudent: il a respecté toutes les règles sur les dépôts de plainte et travaillé en concertation avec des avocats spécialisés, souligne Kathleen McClellan, sous-directrice du programme de protection des lanceurs d'alerte de l'ONG "ExposeFacts". Mais quelqu'un venu des renseignements est toujours très exposé au risque de représailles, souligne cette experte.

Contrairement à d'autres secteurs professionnels, il ne peut pas saisir les tribunaux contre son employeur et n'a d'autre recours que de se plaindre auprès du pouvoir exécutif: si le président voulait lui faire payer son geste, il ne pourrait donc se plaindre...qu'à la présidence, dit-elle. Pour Mme McClellan, les médias doivent donc "respecter le droit à l'anonymat des lanceurs d'alerte", et "se concentrer sur leurs révélations".

L'argument de la "crédibilité" avancé par le New York Times ne tient pas, selon elle, car l'inspecteur des renseignements auquel l'agent a envoyé son rapport l'avait déjà jugé "crédible", un fait "inhabituel".

Quoi qu'il en soit, Todd Gitlin s'attend à ce que l'identité du lanceur d'alerte soit bientôt connue, d'autant que le Congrès souhaite l'auditionner. Et lorsqu'il sera révélé, "son nom s'inscrira à jamais dans les livres d'histoire, comme Daniel Ellsberg", l'ex-analyste militaire qui avait fait fuiter des documents confidentiels sur la planification de la guerre au Vietnam, pronostiquait vendredi l'historien Douglas Brinkley, dans le Washington Post.

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