nicolas sarkozy Par Maja CZARNECKA
A quelques jours du scrutin législatif du 15 octobre, la Poste polonaise a distribué dans les boîtes aux lettres un magazine sur papier glacé avec une photo de réfugiés entassés sur un bateau gonflable en pleine mer. "L'invasion! Ils arrivent! Dis Non à l'afflux d'immigrés illégaux en Pologne", clame la Une de ce qui n'est pas un nouveau titre de presse mais un tract électoral en faveur du référendum organisé par le pouvoir nationaliste le même jour que les élections.
Le suffrage crucial se tient dans une Pologne profondément divisée, entre d'un côté les partisans du gouvernement populiste-nationaliste, anti-immigration et en froid avec l'UE, en place depuis 2015, et de l'autre côté une opposition pro-européenne centriste. "Cette campagne électorale est noyée dans la désinformation", déclare Katarzyna Bakowicz, professeure à l'Ecole supérieure SWPS à Varsovie et coordinatrice du CEDMO, un pôle anti-désinformation en Europe centrale.
"Ce n'est pas une désinformation pure et simple, de simples 'fake news', mais des demi-vérités, des infos biaisées, de la manipulation, d'autant plus difficiles à identifier", explique-t-elle à l'AFP. La même photo d'immigrés, prise en 2015, entrecoupée de scènes de violences urbaines ou d'autres illustrant le sujet des femmes battues, apparaît dans des spots électoraux du parti Droit et Justice (PiS), qui brigue son troisième mandat.
"L'objectif est d'éveiller de très fortes émotions", explique Anna Mierzynska, analyste des réseaux sociaux. Dans une des publicités électorales du Premier ministre Mateusz Morawiecki, outre les images de Lampedusa, apparaissent, sans lien de contexte, des scènes d'agression contre une femme. Une recherche faite par l'AFP permet de remonter à la source de la vidéo qui montre en réalité une agression perpétrée en 2016 dans le métro de Berlin par un ressortissant Bulgare, condamné depuis.
D'autres séquences viennent de l'attentat terroriste à l'aéroport de Zaventem en Belgique en 2016 et de l'expulsion de migrants de la Libye vers l'Egypte, elles aussi sorties du contexte. Rien que pour la diffusion des spots électoraux sur Google, le PiS a dépensé près d'un million d'euros.
Les mêmes spots, vus près de 10 millions de fois sur les réseaux sociaux, sont rediffusés dans leur intégralité durant les programmes d'information à la télévision publique polonaise, contrôlée par le pouvoir. "La TVP n'a rien à voir avec la mission de la télévision publique", a conclu vendredi la Cour des comptes (NIK), dans un rapport officiel.
Cette chaîne utilise "des techniques typiques de la propagande russe consistant à présenter des faits évidents comme des faux", note Karina Stasiuk-Krajewska, experte en médias et communication, coordonnatrice de CEDMO. Le rassemblement antigouvernemental d'un million de Polonais, le 1er octobre, n'a attiré, selon les médias publics, que très peu de participants, alors qu'il suffisait de voir une seule image de la marche pour constater le contraire.
L'enjeu du scrutin est énorme et aucun des deux camps n'est sûr de sa victoire, le PiS étant crédité d'environ 35%, juste devant le principal parti d'opposition centriste, la Plateforme civique, avec 30% des intentions de vote. Désormais, "la fin semble justifier les moyens et les hommes politiques perdent leurs freins", souligne Mme Mierzynska. "Dans cette gigantesque campagne de désinformation, tous les canaux de communication sont affectés", ajoute-t-elle.
"Dans les spots, pas de faits, pas de données (...) que de la manipulation par les émotions", dit l'analyste. Le PiS vise personnellement Donald Tusk (principal leader de l'opposition), l'accusant de tous les maux de la Terre, pointe Mme Mierzynska. "Dans une société si polarisée, la désinformation est inévitablement un excellent outil pour booster les émotions", souligne Mme Stasiuk-Krajewska. "S'y ajoute une surabondance d'informations qui provoque le chaos (...) conduisant à une perte de confiance dans les mécanismes démocratiques", souligne-t-elle.
Même si du côté du pouvoir la désinformation et la manipulation sont nettement plus marquées, selon les experts, l'opposition n'en est pas exempte non plus, avançant parfois des chiffres non vérifiés, comme dans le cas d'une l'affaire de trafic massif de visas polonais, un scandale par ailleurs passé sous silence dans les médias d'Etat.
Les opposants jouent aussi sur des émotions négatives, dressant notamment le spectre d'une sortie imminente de la Pologne de l'UE, auquel conduirait selon eux le troisième mandat du PiS.
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