19/12/2020 12:31

Entre des syndicats omniprésents sur les chaînes d'info et des policiers plus bavards sur les réseaux sociaux, la parole officielle de la police cherche à davantage exister, malgré le devoir de réserve

   Par Alexandre HIELARD, Tiphaine LE LIBOUX

Entre des syndicats omniprésents sur les chaînes d'info et des policiers plus bavards sur les réseaux sociaux, la parole officielle de la police, institution au centre des critiques, cherche à davantage exister, malgré le devoir de réserve et le secret des enquêtes. Trop lente, trop lisse, trop verrouillée... La communication de la police nationale est souvent sujette aux griefs, d'autant plus quand l'actualité, avec la loi controversée de Sécurité globale ou le tabassage du producteur noir de musique Michel Zecler, est particulièrement lourde.

En interne, des policiers la jugent trop passive face aux attaques ou, à l'inverse, prompte à museler ceux qui sortent du rang et dénoncent des dysfonctionnements. En externe, des médias l'estiment trop intrusive dans la réalisation de leurs reportages. "On a 100 chefs de police qui s'expriment dans la presse chaque mois. Donc, la parole de la police nationale existe. Après, elle n'est pas la seule", se défend Michel Lavaud, chef de la communication de la police nationale.

Avec les interventions quasi quotidiennes des puissants syndicats sur les chaînes d'infos en continu et l'arrivée sur Twitter d'une nouvelle génération de policiers désireux de défendre leur vocation, cette parole est en effet largement concurrencée depuis quelques années. La police est aussi tenue au secret de l'enquête auquel seul le parquet peut déroger, dans certaines conditions, selon le code de procédure pénale. "C'est insensé. Tout le monde s'exprime sur les affaires de police, sauf nous", grommelle un haut responsable.

Les nombreux tweets de Gérald Darmanin rappellent aussi que les questions de sécurité sont éminemment politiques, reléguant souvent au second plan les aspects techniques, dévolus à l'administration. "Je ne suis pas allée défendre l'article 24 (de la loi Sécurité globale) car ce n'est pas mon rôle", explique ainsi à l'AFP Camille Chaize, porte-parole du ministère de l'Intérieur. "Mais expliquer pourquoi, quand on vous filme à dix centimètres du visage, c'est compliqué pour un policier, oui je le fais car je l'ai vécu, mes collègues me le racontent", ajoute la commissaire, qui a lancé son compte Twitter en novembre.

Du côté des syndicats de police, la communication institutionnelle est jugée "nettement insuffisante", même s'il y a "une légère amélioration" avec l'intervention plus régulière de porte-paroles sur les plateaux télés ou les réseaux sociaux, reconnaît le patron de Synergie-Officiers, Patrice Ribeiro. Sur Twitter, son syndicat est l'un des plus virulents, ferraillant jusqu'à l'outrance avec des avocats ou des militants de la lutte contre les violences policières. Il assume un "ton taquin, maquisard, qui sied aux réseaux sociaux". "Certains de leurs tweets sont totalement irresponsables, ils rendent une très mauvaise image de notre profession", cingle un haut-gradé.

Depuis un an, la Préfecture de police (PP) de Paris a adopté un ton plus incisif sur Twitter, en publiant des messages pendant les manifestations. L'objectif est de "décrypter des images non contextualisées" mais aussi "défendre les policiers mis en cause dans leur action lorsque les reproches faits sont faux", explique sa porte-parole Lætitia Vallar. De plus en plus, ce sont les fonctionnaires eux-mêmes qui s'y collent. Abdoulaye Kanté, policier dans les Hauts-de-Seine, est l'un des plus en vue. Il dit tweeter pour "contrer les idées reçues" et "apporter le discours de la base", tout en prenant soin de rester "mesuré dans (s)es propos".

Un fonctionnaire de la PP, caché derrière le pseudo "Agent Réaliste", aimerait que la communication officielle soit "plus nuancée, plus ouverte" à certains sujets, comme les violences policières. Un propos qu'il ne pourrait pas tenir publiquement, devoir de réserve oblige. Un commissaire de l'Essonne, qui expliquait récemment dans une vidéo au Figaro que ses hommes préféraient "sauver des gens" que de dresser "des PV en matière de Covid", est sous le coup d'une enquête interne. "Il y a toujours dans la police cette chape de plomb qui fait que tu n'as pas le droit à l'erreur sinon tu dégages, soupire un policier. Du coup, on reste sur la voix du maître, on défend l'administration."

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