07/06/2020 12:01

Enquête - Vers le "big bang" des droits TV dans le foot ? Canal+ et beIN Sports rompt leur contrat de diffusion du Championnat de France, Eurosport renonce à ses droits de la Bundesliga, RMC Sport réclame de l'argent à l'UEFA...

 Par Antoine MAIGNAN

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Vers le "big bang" des droits TV ? Entre produit dégradé, instabilité financière et poussée accélérée des nouveaux acteurs, le marché des droits de diffusion du football est touché de plein fouet par la pandémie de coronavirus, un bouleversement l'invitant à refondre son modèle. Canal+ et beIN Sports rompant leur contrat de diffusion du Championnat de France, Eurosport renonçant à ses droits de la Bundesliga, RMC Sport réclamant de l'argent à l'UEFA pour le report de la Ligue des champions...

La suspension des compétitions a sérieusement obscurci l'horizon financier des détenteurs de droits. La plateforme de streaming sportif DAZN, nouvelle venue notamment en Allemagne et en Italie, a déjà placé une partie de son effectif en congés imposés, selon la presse. En France, beIN Sports a confirmé un projet de réorganisation, et NextRadioTV, maison-mère du diffuseur RMC Sport, a annoncé un plan social ciblant particulièrement le sport à peine quatre ans après son arrivée sur le marché, jugé "imprévisible et inflationniste".

Pourtant, les droits domestiques du Championnat de France s'apprêtent à augmenter de 60% (à 1,217 milliard d'euros annuels) et ceux de la puissante Premier League à l'étranger dépassent les 4,5 milliards d'euros sur la période 2019-2022... Ces records peuvent-ils être infiniment améliorés ? "C'est évident que le Covid va se répercuter aussi sur le foot.

Mais définir maintenant comment cela va toucher la valeur des droits, ou les rapports avec les ayant-droits, c'est encore un peu tôt", a tempéré cette semaine Jaume Roures, le patron de Mediapro, futur diffuseur majeur de la Ligue 1. Si le dirigeant catalan a assuré qu'il ne renégociera pas à la baisse le contrat du foot français malgré des inquiétudes sur la "qualité" du championnat, la menace d'un huis clos durable ou les pertes financières des clubs laissent planer le doute sur une éventuelle dégradation du produit télévisuel.

"Les diffuseurs ont appris que ce genre de pandémie existait et pourraient exiger de nouvelles clauses de résiliation ou de sécurité dans les contrats", analyse Stefan Kuerten, directeur du sport à l'Union européenne de radio-télévision. La suspension des compétitions a aussi fait la part belle aux plateformes en ligne, déjà en plein essor avant la crise. "Netflix, Twitch (jeux vidéo), les réseaux sociaux, tout cela fait que mécaniquement on a moins de temps pour consommer du sport à la télévision. Le modèle du sport-business, très largement fondé sur le câble, est en souffrance", pointe Arnaud Simon, ancien directeur général d'Eurosport France aujourd'hui patron du cabinet de conseil In&Out Stories.

Ces nouveaux acteurs ont profité du moment pour s'immiscer un peu plus dans le sport. Amazon, déjà détenteur de quelques droits ponctuels comme le fameux "Boxing Day" anglais, a ainsi raflé plusieurs journées de Bundesliga délaissées par Eurosport. Une tendance à laquelle il faudra s'habituer, selon plusieurs observateurs.

"Quel acteur voudra acheter un droit qu'il peut perdre trois ans plus tard ?" s'interroge Arnaud Simon. L'avenir est donc, selon ce spécialiste, plutôt à chercher du côté de contrats "très ponctuels" et "moins chers", comme ceux visés par Amazon, ou à l'opposé dans "des partenariats de long terme": cinq, sept voire dix ans. "S'inscrire dans la durée peut avoir beaucoup de vertus dans cette période de bouleversements", estime-t-il.

"La tendance est aux contrats longs et révèle une certaine nervosité des ayants-droits qui pensent que le marché est arrivé à un plafond", prolonge Pierre Maes, auteur du Business des droits TV du foot (Fyp Editions). Mais cette inquiétude soulève une question plus profonde: celle de la valeur intrinsèque du football en direct dans une société où les modèles de consommations évoluent. "Pendant le confinement, (le foot) s'est vu supplanté par d'autres produits de divertissement excitants (Netflix, Fortnite...) et l'amateur de foot a peut-être moins souffert qu'il ne le craignait", remarque Pierre Maes.

Au point de se montrer plus exigeant ? "Si vous lui demandez, (le fan de football) va vous dire +Je supporte le PSG, je veux un pass pour les matches du PSG+. Il veut quelque chose d'affinitaire. Or on veut lui vendre (aussi) le Guingamp-Toulouse, qu'il ne va pas consommer en direct", relève Arnaud Simon, pour qui diffuseurs comme ayant-droits n'ont pas bien cerné le "risque" qui les guette. "Si vous ne prenez pas le virage (de l'interaction avec le fan) au bon moment, vous perdez du terrain et d'autres l'occupent. Et quand vous n'êtes plus présents, on peut apprendre à vivre sans vous".

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