16/06/2011 13:40

Un juge se moque de la télé-réalité !

Ce juge parisien est connu pour ses bons mots et la finesse de son analyse juridique. Mais à la veille de quitter la Chambre de la presse qu'il occupe depuis sept ans, Joël Boyer s'est permis quelques coups de griffe à la téléréalité, au gré d'une ordonnance éminemment ciselée.  

Dès la page de garde de cette ordonnance drôlatique datée du 1er juin, on ne peut réfréner un sourire: l'affaire, pourtant fort sérieuse, oppose Emilie Nef Naf, ancienne participante à l'émission de TF1 Secret Story, au magazine people Oops, assigné pour atteinte à sa vie privée et à son droit à l'image.  

Et pour cause, dans son numéro du 25 mars, le bimensuel a cru bon de publier un article intitulé "Léo: c'est lui qui a vendu sa sextape avec Emilie!", illustré par la reproduction en petit format d'une double page du magazine Entrevue qui dévoilait des extraits d'une vidéo montrant les ébats sexuels entre les deux intéressés. 

 Emilie Nef Naf réclamait 20.000 euros de dommages et intérêts pour cette malheureuse indiscrétion.   Dans son ordonnance, le président Boyer, connu pour son extrême courtoisie et son infinie méticulosité, commence par planter le décor, à l'intention de ceux qui ne connaîtraient pas encore Secret Story, qui fêtera cet été sur TF1 sa saison 5. 

 Cela donne : "Emilie et Léo sont deux intrépides aventuriers de la médiatisation télévisée ayant illustré les meilleures heures du programme de téléréalité intitulé par anti-phrase +Secret Story+ (Saison 3) où il n'y a ni secret ni histoire, mais cependant une observation des faits et gestes des jeunes gens qui y participent sous l'oeil des caméras, où le téléspectateur finit par s'attacher aux créatures qu'il contemple, comme l'entomologiste à l'insecte, l'émission ne cessant que lorsque l'ennui l'emporte, ce qui advient inéluctablement, comme une audience qui baisse". 

 Puis, analyse le magistrat, débute une nouvelle phase: "Sevrés du programme télé qui s'achève, les aficionados se ruent sur les gazettes, sûrs qu'elles sauront entretenir aussi durablement que possible le feuilleton du rien, passion toujours inassouvie des sociétés contemporaines".  

Quant aux "cobayes, trop heureux de voir quelques flashes qui crépitent encore, et désormais adeptes de l'exposition de soi, (ils) courent de l'une à l'autre, comme un canard sans tête, accordant interviews ou posant pour des photos".  

En parfait érudit, le juge jongle entre l'Evangile et Platon, citant pêle-mêle "le denier de Judas" ou "la difficulté extrême de distinguer le vrai du faux, la part du jeu et de l'argent des indignations sincères, ce que montre le miroir et ce qui s'y joue non loin, la caverne et les ombres".  

Mais le magistrat finit par reconnaître, "la main tremblante, mais sans remords, que les atteintes à la vie privée et au droit à l'image seront retenues".  

Toutefois, remarque celui qui a présidé les procès Perret ou Picasso, Melle Nef Naf aurait vendu au magazine Oops un sujet paru postérieurement au numéro litigieux, "ce qui atteste qu'aucune des deux parties n'est rancunière". 

 Joël Boyer rassure. "Le juge ne l'est pas plus à l'égard d'aucune d'entre elles, mais il a un exigeant métier qui le retient quelquefois à de plus amples tâches". 

 Conclusion: "il réparera ce qui est réparable en allouant à Melle Nef Naf un euro à titre de dommages et intérêts."

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