USA: Le canular du ballon illustre la dérive des médias

Par Rob WOOLLARD (Los Angeles)

Les leçons à tirer du gigantesque canular du ballon à la dérive aux Etats-Unis, en fin de semaine dernière, sont nombreuses pour les médias, mais elles seront probablement superbement ignorées, selon plusieurs experts.

Jeudi, pendant plusieurs heures, le canular imaginé par Richard Heene a tenu en haleine des dizaines de millions d'Américains, alors que les chaînes de télévision diffusaient en direct les images de son ballon expérimental à la dérive dans le ciel de Denver (Colorado, ouest des Etats-Unis).

Quarante-huit heures plus tard, la supercherie éclatait au grand jour, et les médias se demandaient comment ils avaient pu se laisser tromper par un homme assurant notamment être le descendant d'extra-terrestres. Richard Heene -- qui, selon la police, a imaginé le canular dans le but de promouvoir un reality-show --, avait un profil d'excentrique qui aurait dû faire réfléchir les médias à deux fois, estiment des experts. "Il y avait plusieurs indices qui auraient dû au moins appeler à la prudence", déclare Kenny Irby, directeur du département journalisme télévisuel à l'Institut Poynter, en Floride (sud).

"La participation de la famille à des émissions de télé-réalité, les déclarations contradictoires des frères -- ces facteurs auraient dû nous amener à poser plus de questions et, au moins, à réfléchir davantage à nos réponses", estime-t-il. Selon lui, le fait que tant de chaînes d'information aient interrompu leurs programmes pour couvrir l'événement reflète la préférence donnée aux médias à la rapidité, plutôt qu'à l'exactitude.

"Beaucoup de médias veulent seulement +faire du suivisme+ plutôt que d'être exacts sur ce qu'ils rapportent", ajoute-t-il. Robert Thompson, directeur du Centre Bleier sur la Télévision et la Culture Populaire, à l'Université de Syracuse (New York), affirme qu'il y a des leçons à tirer de l'événement du ballon, mais qu'elles seront probablement ignorées.

"L'histoire de l'enfant au ballon est une sonnette d'alarme pour les médias, sur laquelle chacun d'entre nous (journalistes) va s'asseoir", déclare-t-il à l'AFP. "Si un événement similaire arrive après-demain, il sera couvert et nous le regarderons exactement de la même manière", observe-t-il. "Imgainez seulement qu'une chaîne de télévision reçoive l'appel d'un pilote d'avion, assurant qu'il est à bord avec sa femme enceinte de triplés et que l'ordinateur de bord ne répond plus", raconte-t-il.

"Histoire de l'enfant au ballon ou pas, nous aurons des caméras pointées sur l'appareil en deux secondes. Personne n'attendra de savoir si c'est une supercherie ou un canular. On couvrira d'abord et on posera les questions ensuite", affirme-t-il. M. Thompson cite la prolifération de chaînes de télévision et de plateformes de médias comme les moteurs du cycle moderne des médias.

"Il y a deux phénomènes technologiques derrière cela -- l'un est la possibilité de retransmettre depuis n'importe où grâce aux camions satellite, l'autre est le nombre infini de plateformes capables de diffuser les images", explique-t-il.

Ted Mandell, enseignant au département cinéma, télévision et théâtre de l'Université de Notre Dame (Indiana, est), considère que cette nouvelle donne créée un climat d'"hystérie journalistique". "Avant l'internet et CNN, vous aviez les informations du soir et c'était à peu près tout", déclare M. Mandell. "Maintenant, c'est instantané -- il n'y a ni recherche ni réflexion. Le but est juste d'avoir une histoire, la diffuser et faire de l'audience. Il n'y a plus de perspective", dit-il.